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« Les astronautes qui partiront dans le vide interstellaire seront comme des ermites au désert, et seuls de grands mystiques survivront à ce voyage, car ils feront face, seuls, au néant primordial de la condition humaine. Ils n'emporteront avec eux guère plus que ce que nous emportons dans la tombe, et lorsqu'ils quitteront la Terre, nous dirons tous adieu, symboliquement, aux lieux que nous avons chéris et aux êtres que nous avons aimés. Nous mourrons avec eux, avec l'espoir d'une autre vie, loin, très loin, dans une autre galaxie, une autre dimension, au-delà de l'espace et du temps. »

Pierre-Henri d'Argenson, La fin du monde et le dernier dieu, un nouvel horizon pour l'humanité







Johnny Hallyday, Noir c'est noir






Ecce Homo. Je m’appelle Michelangelo. Michelangelo Risi. Mais tout le monde m’appelle Le Caravage ou Caravaggio. Mon nom évoque La décollation de Saint Jean‑Baptiste, le célèbre tableau que j'ai peint dans la cathédrale Saint-Jean à Malte. Mon nom évoque surtout la ville où j’ai passé mon enfance. Je suis né à Caravaggio en Italie. Adolescent, je passe quatre ou cinq ans à Milan. Je passe quatre ou cinq ans à étudier mais surtout à me faire remarquer. On peut résumer cette période par : ça commence bien. En effet, ça commence bien. Oh oui, ça commence bien. Je suis déjà complètement à côté de la plaque, on ne va pas s’ennuyer. Non, on ne va pas s'ennuyer. Je suis extravagant. Je suis passionné. Je n’ai pas l’intention de m’ennuyer. Non, je n’ai pas l’intention de m’ennuyer. Pas du tout. Je n'ai pas du tout l'intention de m'ennuyer. Ce n’est pas au programme. Non ce n'est pas au programme. Au programme il y a : extravagances, exploits, mais il n’y a pas : ennui. Non, il n'y a pas ennui. Non, pas du tout. Certains disent que je suis né pour détruire la peinture. Certains disent que je suis né pour détruire la peinture alors on va la détruire. À l’âge de vingt ans, je pars à Rome. Je n’ai pas d’argent. Je vis chez Monseigneur Pandolfo Pucci de Recanati, maître de la maison de la soeur du pape Sisto V, Camilla Peretti. Je dois travailler pour payer ma pension. C’est du woofing. C'est ça, c'est du woofing. Ça ne me plait pas du tout. Je dirais même plus : Ça ne me plait pas du tout. Surtout que je n’ai rien à manger. Je n’ai rien à manger à part de la salade. Monseigneur Pandolfo Pucci de Recanati ne me donne que de la salade. C’est une blague ou quoi ? De la salade, de la salade et encore de la salade. Entrée plat dessert : salade. Matin midi et soir : salade. Salade, salade et salade ! De la salade, de la salade et encore de la salade ! C'est une blague ou quoi ! Vous me prenez pour qui ? Je suis né pour détruire la peinture et vous me donnez à bouffer de la salade ? Je finis par l’appeler Monsieur Salade. Monsignor Insalata. Monsignor Insalata, ça ne va pas ou quoi ?? C'est quoi ce délire ?? A la fin, je n’en peux plus de toutes ces salades. Je décide de partir vivre seul. Je travaille pour un peintre sicilien inconnu, un certain Lorenzo. Néanmoins, pendant cette période, ma période salades, je réalise plusieurs copies de tableaux religieux. Oui je réalise plusieurs copie de tableaux religieux pendant ma période salades. Je peins également plusieurs tableaux que je vends. Comme celui représentant un jeune garçon qui pleure parce qu’il a été mordu par un lézard. Ou celui représentant un jeune garçon qui épluche un fruit avec un couteau. Ou bien encore le portrait d’un aubergiste chez lequel je prenais pension, Tarquinio, qui possédait aussi un bordel. Bref, c’est le fun. Ah oui c’est vraiment le fun. Sauf que juste après je tombe malade et je n'ai plus d'argent. Je n'ai pas d'argent donc je vais à l’hôpital de la Consolation. Je suis à l'hôpital de la Consolation. Je me console. Je joue à la console à l'hôpital et ça va mieux. Du coup, j'exécute de nombreux tableaux pour le prieur de l’hôpital. Lequel les emporte par la suite en Sicile, son pays d'origine. Mais je ne peux pas passer ma vie à Consolation. Je lâche la manette. Je lâche la manette et je suis accueilli dans la résidence du cavalier Giuseppe et de monseigneur Fantin Petrignani. Le cavalier Giuseppe et monseigneur Fantin Petrignani m'offrent l’hospitalité d’une chambre. Cet arrangement me permet de réaliser de nombreux tableaux. Comme celui représentant une bohémienne prédisant la bonne aventure à un jeune homme. Ou bien le célèbre tableau du Repos pendant la fuite en Égypte. Ou bien encore La Conversion de Marie-Madeleine. Ou bien encore La Mort de la Vierge dans l’église Santa Maria della Scala. Mais les pères n'aiment pas mon tableau. Les pères n'aiment pas La Mort de la Vierge. J'ai demandé à une simple courtisane de poser pour la Vierge Marie. Les pères l'apprennent. Les pères l'apprennent et n'aiment pas ça. Ils n'aiment pas ma simple courtisane les pères. Ils n'aiment pas ma simple courtisane posant pour La Mort de la Vierge les pères. Ils retirent immédiatement ce tableau les pères. Et le donnent au seigneur de Mantoue. Mais je ne me laisse pas aller. Non je ne me laisse pas aller, pantoute ! comme dise les Québécois. Ils peuvent donner mes toiles et mes courtisanes au seigneur de Mantoue, pantoute ! Je ne vais pas me laisser aller pour autant ! Je suis quand même né pour détruire la peinture, bon sang ! Je suis né pour détruire la peinture comme Céline Dion est née pour détruire la chanson. Je peins la Madone de Lorette. Je peins la Madone de l’autel dédié aux Palafrenieri dans la basilique Saint-Pierre de Rome. Je peins de nombreux tableaux appartenant à la collection de la famille des Borghese. Je peins les tableaux de la chapelle Cerasi de l’église Santa Maria del Popolo. Je peins de nombreuses toiles appartenant aux familles Mattei, Giustiniani et Sannesio. Bref, je ne me laisse pas aller. Je peins. Je suis à fond dans la peinture. J'invente un nouveau style qui consiste à être à fond dans la peinture. Tellement à fond qu'on n'a plus de fond. On n'a plus que du noir au fond. On est tellement à fond dans la peinture qu'on ne voit plus rien. C'est tout noir. C'est tout noir au fond. Dans le fond de mes tableaux, je ne mets ni décor ni paysage ni rien. Je n'en ai rien à foutre. Je suis à fond. Je suis à fond dans le noir. Je recherche quelque chose. Je recherche quelque chose mais c'est une autre histoire. Pour l'instant je suis à fond. Je suis à fond dans le fond des tableaux. Vous, vous regardez les personnages, la Vierge, saint Jean-Baptiste, tout ça. Mais moi je suis dans le fond. Je suis Le Caravage et je suis à fond. Je fais la révolution. C'est une révolution de ne rien peindre au fond. C'est une putain de révolution que je fais là. Si vous ne me croyez pas, lisez des livres. Lisez mes bios. Elles racontent n'importe quoi mais au moins elles ne mentent pas sur une chose. Je suis à fond. Je suis à fond au fond. Je suis un fondu du fond. Je suis un fondu. Lisez la Notizia, un poème écrit par Mancini pour raconter ma vie. Qu'est-ce qu'il dit Mancini ? Ben il dit que je suis à fond. Il dit que j'ai vécu chez le cardinal del Monte où j'ai rencontré Galilée. Lui aussi il est à fond. Lui aussi il est à fond Galilée. Il est à fond dans la gravité. Il est à fond dans l'accélération. Il est à fond dans la révolution Galilée. Je vis dans la même chambre que Galilée. Je passe des nuits entières à discuter avec Galilée. Je refais le monde avec Galilée. Non seulement je refais le monde mais je refais tout l'Univers. Galilée a mis au point une lunette pour observer le ciel. Je suis avec Galilée. J'observe le ciel. J'observe le ciel la nuit. J'observe la Lune dans le ciel. J'observe Mercure. J'observe Vénus. J'observe Mars. J'observe Jupiter. J'observe les Lunes de Jupiter. J'observe l'Espace infini. Je ne peux plus décoller mon oeil de la lunette. Certains racontent que Galilée aurait mis au point un système de projection dont je me serais servi pour peindre mes tableaux. Une sorte de caméra. Une sorte de camera obscura améliorée. Qu'il aurait retourné sa lunette en quelque sorte comme Georges Méliès retournera le Theatograph de Robert-William Paul pour en faire, lui, une caméra. Qu'il aurait retourné sa lunette et trouvé un moyen de projeter des images avec. C'est ainsi que certains expliquent le côté très cinématographique, comme ils disent, de mes tableaux. Je vous laisse vous faire votre propre avis. Appelez-moi Cinéman si vous voulez ! Appelez-moi Cinéman ! Ce qui est sûr c'est que ma chambre est remplie de joie à cette période-là. De la joie du ciel. D'une joie infinie. Je cotoie des musiciens, des artistes. Je m'éclate. Je suis à fond. J'accélère à fond. Je fonce sur les abrutis. Je fonce sur les abrutis sphériques. Je leur défonce la tronche. Vous savez ce qu'est un abruti sphérique ? C'est quelqu'un qui, quelque soit l'angle sous lequel vous le regardez, est toujours aussi abruti. Eh bien moi je fonce. Je leur fonce dessus. Je me lance dans des bagarres à répétition. En tout cas c'est ce qu'on dit. Je vous laisse vous faire votre avis. Moi je continue. J'arrête de figurer la nature. Plus aucun océan déchainé. Plus aucune tempête. Téléchargez sur votre iPhone l'ebook de Victoria Charles intitulé sobrement Le Caravage. Vous verrez. Vous verrez que « Loin de la terre et du soleil, dans les ténèbres déchirées par l'éclair, réduits à des symboles abstraits hors de l'espace et du temps, le peintre s'attacha essentiellement à rendre les émotions et les passions des êtres vivants comme le vice, le délit ou la douleur humaine au-delà de tout effet esthétique. » C'est Victoria qui dit ça ! Comme c'est bien dit ! Ça envoie du bois ! Et moi je suis à fond. Je peins La Vocation de saint Mathieu. Je peins Le Martyre de saint Mathieu. Je peins saint Mathieu et l'ange. Je suis à fond dans saint Mathieu. On me passe commande alors je suis à fond. Je suis à fond dans la commande. Je peins l'Extase de saint François. Je peins Les Tricheurs. Je peins Marie-Madeleine. Je peins Sainte Catherine d'Alexandrie. Mais je suis contraint de reprendre aussi de nombreux tableaux. Je suis contraint de reprendre et donc de repeindre. On me contraint de repeindre au nom de la pudeur religieuse. Je reprends notamment La conversion de saint Paul et La Crucifixion de saint Pierre. Mais je ne me renie pas. En rien. Je suis à fond. Alors je peins. Je peins et je repeins. Je ne fais pas la différence. Ce que je ne peux dire je le mets dans le noir. Dans le fond. Je suis à fond comme Galilée. Mais Galilée est contraint lui de renier le principe de rotation terrestre. Galilée se renie. Galilée se renie mais affirme en même temps « Et pourtant elle tourne ». Ah c'est bien Galilée ça ! C'est bien mon Galilée ! Ah il est à fond, Galilée ! Et moi aussi ! De plus en plus ! De plus en plus à fond ! De plus en plus au fond ! De plus en plus au fond de la nuit ! De plus en plus à la recherche de quelque chose au fond de la nuit. Je ne représente aucun cieux étoilés. Aucun ciel théologique. Mes personnages n'ont jamais les yeux tournés vers le ciel. Je peins le fond des terres. Je peins le fond du monde. Je peins dans le fond du mystère. Je peins le fond du fond. Je peins le fond nuit. Je peins le fond noir. Le fond où je suis. Je pense donc je suis au fond. Donc je suis à fond. Donc vous regardez au fond du monde. Les divinités sont à terre. Vous les voyez telles qu'elles sont. A terre. Les divinités sont posés dans mes tableaux comme sur la ligne d'horizon. Il n'y a pas d'arrière-monde. Lisez Victoria Charles, vous comprendrez. Vous comprendrez que « Les divinités du peintre réaliste ne s'éloignent jamais de l'horizon terrestre, ni par la pensée, ni par le regard. » Moi, ce qui m'intéresse, c'est la sanctification des souffrances humaines. Moi, ce qui m'intéresse, c'est la tristesse majestueuse du Christ. Moi, ce qui m'intéresse, c'est le supplice héroïque de la mère. Moi je peins Ecce Homo. Moi je peins La Flagellation du Christ à la colonne. Moi je peins La Mise au tombeau. Moi je peins plusieurs Madone. Moi je n'arrête pas de peindre des Madone. Pour la Madone de Lorette, je choisis une jeune femme forte comme modèle pour la mère du Christ. Je la peins pieds nus dans l'embrasure d'une porte décrépite au seuil de la nuit. Je peins la même dans la Madone des Palefreniers. Je peins une mère lambda. Je ne peins pas une mère très éloignée de la vôtre. Très éloignée de vous. Je peins une mère proche. Une mère pieds nus avec son bébé dans les bras. Une mère sensuelle. Je voue une dévotion sans fin à la sensualité des mères. Je suis à fond dans l'organique sensualité des mères. Je suis à fond dans le ventre des mères. Mais pas tant comme un courtisan que comme un esclave de leur mystère. Je suis d'ailleurs plutôt attiré par les hommes. Comme en témoigne mon tableau L'amour vainqueur. Enfin c'est ce qu'on dit. Dans ce tableau le vainqueur est un garçon nu aux ailes d'anges qui vole vers vous mais en fait il vole vers moi. Il vole sur moi. Il m'a conquis. Il m'a séduit. Il est le vainqueur. Il est le roi de mes nuits. Enfin de mes jours. Car mes nuits je les passe à regarder dans la nuit. Tout au fond. Du coup je les passe pas mal au fond des tavernes. Depuis que je n'ai plus la lunette de Galilée j'observe la nuit du fond des tavernes. Où je rencontre pas mal d'abrutis sphériques. Du coup ça me donne envie d'éclater des tronches. J'éclate des tronches. J'éclate pas mal de tronches. En tout cas c'est ce qu'on raconte. Je peins beaucoup. Mais je mets aussi beaucoup de pains. Enfin, beaucoup, je n'ai peint en tout que soixante toiles. Alors que les pains, par contre, je les ai multipliés. Je multiplie les pains ! Je suis le premier street artist de l'Histoire. Je peins dans les églises mais je mets des pains sur le trottoir. Je répète : Je suis le premier street artist de l'Histoire. Je peins dans les églises mais je mets des pains sur le trottoir. Je me lance dans des bagarres à répétition. En tout cas c'est ce qu'on dit. Je vous laisse vous faire votre avis. Voici la liste des pains : Entre 1585 et 1590, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets des pains. C'est mes premiers pains mais c'est déjà du bon pain. Du coup je dois m'enfuir. Je fuis Milan. Entre 1590 et 1595, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets des pains. C'est des pains super chouettes. J'en mettrais bien deux trois au cavalier d’Arpin mais le duel n’a pas lieu puisque je n'ai pas le titre de chevalier. Je n'ai pas le titre de chevalier mais j'ai du bon pain. En 1599, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je ne me sens pas bien. Alors je regarde les autres se mettre des pains. Mon copain Onorio Longhi met un bon gros pain au peintre Marco Tullo. J'aimerais bien en mettre un moi aussi mais je ne me sens pas bien. Je peux à peine tenir debout. Du coup je dois rentrer chez moi. Le 19 novembre 1600 à Rome, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets des pains. C'est du pain bio. J'en mets un dans la face de Spampa di Monte Poliziano. Je lui mets un bon gros pain bio dans sa face comme ça à trois heures du matin. Des gens s’approchent munis de chandelles. Je tire mon épée et j'engage un duel avec Spampa qui réplique avec le fer, du coup ça dégénère un peu. Du coup je dois m'enfuir. Le 7 février 1601, je prépare des enduits, je peins des tableaux et j'obtiens le pardon du sergent Flavio Canonico. J'avais mis un bon gros pain à Flavio mais il me pardonne. Du coup le procès est annulé. Du coup je peux retourner à mon activité qui consiste à mettre des pains. Le 28 août 1603, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets des pains. C'est du super bon pain. J'en confectionne spécialement pour cet idiot de Baglione qui copie mes tableaux. Avec mes copain Onorio Longhi, Orzio Gentilesco et Filippo Trisegni, on le ridiculise publiquement et puis on le choppe dans un coin pour lui mettre des pains. Du coup il n'est pas content. Du coup il nous fait un procès et on finit en prison. Le 25 septembre 1603, on me libère. Je peux à nouveau préparer des enduits, peindre des tableaux et mettre des pains. Du coup c'est ce que je fais. Le 26 avril 1604, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets des pains. C'est du bon pain chaud, ça se mange très bien avec un plat d'artichauts. Du coup j'ai envie de manger des artichauts. Je vais à l’auberge du Moro à la Madeleine. Je demande au serveur Pietro de Fosaccia si les artichauts sont à l’huile ou au beurre. Le serveur me répond qu’il l’ignore. Il en prend un et le porte à son nez. « Quoi ? je luis dis. Il me semble, pauvre idiot, que tu t’imagines servir une canaille ! » Je m’empare du plat d’artichauts et je lui jette au visage. Du coup, c'est chaud. C'est artichaud même. Du coup je dois m'enfuir. Le 20 octobre 1604, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets des pains. Et puis la nuit, je sors. Et je balance des pierres. Cherchez pas je suis comme ça. Le 18 novembre 1604, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets des pains. Je manie aussi l'épée. Pour trancher c'est super. Je fais des grosses tranches. Je m'entraîne la nuit. A cinq heures du matin d'ailleurs la police m'arrête à l’écluse del Bufalo. On me demande si j'ai un port d’arme. Je réponds que oui et je le présente. On me le rend. On me dit que je peux m’en aller. On me dit : « Bonne nuit, Monseigneur ». Je réponds en haussant le ton : « Va te faire foutre. » Du coup ils m'arrêtent à nouveau. Ils me demandent de retirer ce que j'ai dit. Mais je ne veux pas. Du coup, ils me mettent à terre et tandis qu’ils m'attachent, je répète : « Va te faire foutre toi et tes semblables... » Du coup je vais en prison à Torre di Nona. Du coup je mets des pains à Torre di Nona. Le 28 mai 1605, rebelotte. Je suis emprisonné pour port d’arme illégal. Du coup grosse promo sur les pains à Torre di Nona. Le 20 juillet 1605, des copains me libèrent. Du coup je retrouve d'autres copains. Du coup on va remettre ça. On va remettre des pains. Je vous passe les détails. Bref la liste des pains est longue. Le 29 juillet 1605, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets des pains. Pendant ce temps, un notaire de l’office de Paolo Spada déclare dans sa déposition « avoir été assailli à une heure du matin environ par la bande venant de derrière et avoir reçu un coup de bâton qui le fit tomber à terre et ensuite avoir été victime d’un coup d’épée qui l'a blessé à la tête. » Il rapporte les paroles du témoin Galeazzo Roccasecca qui a vu un homme armé semble-t-il d’une épée ou d’un pistolet qui aussitôt s’est relevé et a fait trois sauts. « Il portait un oiseau noir sur une épaule », dit le témoin qui indique qu’il ne pouvait s’agir de personne d’autre que de Michelangelo da Caravaggio. Ah oui ? Franchement ? Vous croyez que je peins en écoutant du Barbara ou quoi ? Ils me font le coup de l'Aigle Noir. Je suis un faucon moi ! Je suis un faucon ducon pas un biker à trois francs ! Je vole le soir sur la Place Navona, où j'échange des mots vifs avec Pasqualone à propos d’une femme appelée Lena que celui-ci a frappée au visage et non par derrière comme il le prétend. Je suis un faucon. Je fonce sur les abrutis sphériques. Je fonce dans la nuit. Je suis attiré par les hommes mais je peux me battre pour défendre l'honneur d'une mère. Je voue une dévotion sans fin à la sensualité des mères. Je suis à fond dans la viviparité. Je suis à fond dans l'organique sensualité des mères. Je suis à fond dans le ventre des mères. Mais pas tant comme un courtisan que comme un esclave de leur mystère. Du coup je mets plein de pains dans la face de Pasqualone. Et c'est bien fait ! Entre septembre 1605 et mai 1606, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets des pains. J'en ai sur la table, ça c'est sûr. Ah ça c'est sûr avec des zouaves comme Guido Reni, j'en ai des pains sur la table. Ah oui, je dirais même plus : j'en ai des pains sur la table avec des zouaves comme Guido Reni. Guido Reni déménage à Roma en 1605. Guido Reni et sa peinture léchée s'installe à Rome en 1605. La peinture de Guido Reni vient lécher la ville de Rome, ce qui me déplait fortement. Ah oui, ça me déplait fortement. S'il croit me faire de l'ombre ce zouave. Je n'approuve pas un seul centimètre de sa peinture. Ce n'est pas de la peinture c'est de la lèche. Guido Reni ne peint pas il lèche. Ce n'est pas avec un pinceau qu'il travaille il travaille avec une langue arrachée à une vache à traire. C'est de la lèche. C'est une peinture qu'il faut combattre. C'est une peinture qu'il faut détruire. D'ailleurs il faut détruire toute la peinture. Moi je vais m'occuper bientôt de ce zouave. Je l'ai prévu. Je lui ai dit bientôt mes mains vont s'occuper de toi et autrement qu’avec ton pinceau. Guido Guido Guido ! On va où là Guido ? On va où là ? Où est-ce que tu nous guide Guido ? Où est-ce que tu nous guide avec ton pinceau à lèche ? Où est-ce que tu vas encore nous lécher ? Où est-ce que tu te crois Guido ? Guido Guido Guido ! On raconte qu'à la fin c'est toi qui me fit administrer une balâfre. Mais franchement, franchement Guido, franchement Guido, je laisse le lecteur se faire son opinion. Franchement, Guido, tu auras donc été jusqu'à lécher l'Histoire. M'administrer une balafre ? Avec tous les pains que j'ai sur la table ? Avec tout ce bon pain, Guido ? Toi, administrateur de la balafre ? Et avec quoi, si tu me permets, me fis-tu administrer celle-ci ? Avec la langue de boeuf qui te sert de pinceau ? Sacré Guido ! Autour du 20 mai 1606, je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets des pains et de la crème sur mes balafres. Pendant ce temps, Passignani peint un tableau à Saint-Pierre. Enfin, pour être précis, son élève Nicodème Ferrucci – Passignani étant absent – peint un tableau à Saint-Pierre. Du coup, je vais y faire un tour. Coucou Saint-Pierre ! Coucou Passignani ! Ah non, c'est vrai, t'es pas là ! Coucou ton élève ! Coucou l'élève ! Coucou Nicodème Oedème ! Et bim ! Un pain tout droit sorti du four ! Et tiens ! Un coup d'épée dans la toile. Un grand coup d'épée dans ta toile, Passignani ! Ah non c'est vrai ! T'es pas là ! Du coup tu peux pas voir comme je la lacère bien comme il faut ! C'est dommage ! C'est du travail de professionnel ! Ton élève aura appris des trucs aujourd'hui. Regarde comme ça lacère bien, gamin ! Un grand coup d'épée dans ta toile ! Enfin dans la toile de ton maître ! Ça lacère tellement bien gamin que je peux passer la tête à travers ! Du coup je passe la tête à travers la toile ! Coucou Nicodème Oedème ! Bim je lui refous un pain à travers la toile de son maître ! Je regarde bien le tableau et ensuite je sors en proférant toutes sortes de critiques négatives. Voilà le travail ! Le 20 mai 1606, c'est la cerise sur le gâteau. Je décide de lacérer pour de bon. Je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets les pains de côté. Aujourd'hui, je sens que ça va lacérer. Et j'ai raison. Ça lacère vraiment. Ah oui ça fini par lacérer carrément bien, carrément bien comme il faut, « Michelangelo da Caravaggio tue Ranuccio Tommasoni, jeune homme de grande noblesse » entend-on sur BFM TV. Ah oui, là c'est bon, je suis l'ennemi numéro un de la peinture italienne. « Michelangelo da Caravaggio tue Ranuccio Tommasoni, jeune homme de grande noblesse, répète en boucle BFM TV, pour un différent contracté au jeu de balle et de raquette. Les joueurs s’étant lancés un défi en sont venus aux armes et Ranuccio serait tombé à terre. Michelangelo lui transperçant alors la cuisse avec son épée l'aurait blessé à mort. Les policiers sont sur place. » Ah oui, là, c'est sûr, il est refait le Ranuccio, on voit son corps par terre dans la télé en forme de tableau avec un cadre et tout. Qui c'est qui peint ça ? C'est encore ce vendu de Guido Reni. C'est lui qui peint la télé, c'est sûr, c'est léché. Mais ça va pas ou quoi ? C'est nul. Ça rend rien. C'est de la grosse croûte en HD. La lumière, les expressions, la douleur, tout est faux, tout est faussement détaillé, c'est de la peinture télévisée. Du coup je me tire. Je rentre. Je suis déçu. Je repense à Galilée. Avec ce genre de peinture, c'est comme si le réel s'était renié. Le 30 mai 1606, pas d'enduits, pas de peinture, pas de pains. Finito. Je suis bessé. Je suis alité dans la demeure de mon ami, le poète Andrea Rufetti, près de la Place Colonna. Au juge de la cour criminelle qui me rend visite, je dis ceci : « Je me suis blessé moi-même avec ma propre épée qui m’a échappé dans la rue et j’ignore même où cela a bien pu m’arriver ». Il insiste. Je réponds : « Je ne peux rien dire d’autre ». Je pourrais faire un effort. Mais c'est pas mon fort. Je suis dans les pains. Je suis tombé dans les pains. Je suis à fond dans les pains et surtout dans les pains sur les peintres. Et surtout sur les peintres-zouaves, les peintres télévisés, les lécheurs de téléréalité, alors j'ai pas envie de donner dans le blabla. J'ai mes raisons. Je suis à fond. Je ne vais pas dire car car car. Je ne donne pas mes raisons. Je ne suis pas dans le blabla-car-car-car et autres dépositions. Je suis à fond je n'ai pas besoin de raisons. Le juge me dit de quitter cette demeure. A partir de là, ça tourne en boucle sur BFM : « Michelangelo da Caravaggio selon nos informations se cacherait près de Rome à Paliano. » J'attends un peu. Puis je m'enfuis. Je suis un criminel. Je suis un peintre criminel. Je suis l'ennemi numéro un de la peinture et l'ennemi numéro un tout court. Du coup je cours. En octobre 1606, je suis à Naples. Je prépare des enduits, je peins des tableaux et je mets de la crème sur mes balafres. Je fais une pause de pains. Du coup, je peins. Encore plus à fond que d'habitude. Encore plus à fond à fond. A Naples, en attendant une grâce du Pape qui ne vient pas, je peins à fond. Je racle du noir au fond de mes balafres, je racle du noir au fond de ma fiction, qui tourne en boucle sur les peintures télévisées de BFM TV et je peins comme un malade comme si je donnais des pains à tous ces zouaves. Je peins les Sept Actes de la Miséricorde. Je peins la Flagellation du Christ. Je peins la Résurrection du Christ. Je peins le Reniement de saint Pierre. Je peins la Crucifixion de saint André. Entre deux tableaux je regarde la peinture télévisée. J'attends une grâce du Pape. Comme on guette le but gagnant. Le coup de grâce donné du pied sur une pelouse élyséenne. Hors du temps, à Naples, j'attends un coup de fil du Pape. Qui ne vient pas. Non mais allô. J'éteins. Je repense à Galilée. Je repense à ces nuits passées à refaire le monde. Ici le monde a été réduit à une fiction bien léchée. En 1607, toujours pas de nouvelles du Pape. Je m'enfuis à Malte. Je suis accueilli par les chevaliers de Saint-Jean. Je suis fait chevalier « de grâce » de l'Ordre des chevaliers de Malte. Les chevaliers sont fiers de m'avoir pour peintre sur leur île. Du coup, je peins pour eux. Je peins deux portraits du Grand-Maître Alof de Wignancourt. Mais aussi saint Jérôme. Mais aussi Marie-Madeleine. Mais aussi Cupidon endormi. Mais aussi et surtout, oui aussi et surtout, oui surtout surtout surtout, aussi surtout et surtout et surtout oui, La décollation de Saint Jean‑Baptiste, le très célèbre tableau qui se trouve dans la cathédrale Saint-Jean à La Valette à Malte. Un tableau que j'ai peins directement dans la cathédrale. Sans brouillon, sans études, sans rien. En empoignant mon pinceau par la brosse et en utilisant l'extrémité en bois. Je ne fais pas dans la lèche. Je ne fais pas dans la peinture télévisée. Je fais dans le noir. Je capte la lumière du bout de mon stick en bois. Je trace des contours et j'arrête les photons. Je me mets en embuscade. J'envoie des pains. Et j'accroche la lumière. Bim ! Les photons se ramassent sur la toile comme les êtres sur la surface du monde. C'est une prophétie. C'est un combat de boxe avec l'espace-temps. Je suis dans la cathédrale. Je repense à Galilée. C'est comme s'il était, là, à côté de moi. Il me parle de la multiplicité des mondes. Il me dit « Tu n'imagines même pas le nombre de mondes cachés dans le ciel. Regarde cette cathédrale. Regarde ce joyau de l'art baroque. C'est une navette. C'est comme une navette, Michelangelo. Les chevaliers ont construit une navette sans le savoir. C'est un bâtiment qui troue qui transperce l'espace-temps. C'est l'expression d'un profond désir. Celui de trouver un trou qui mène vers l'Inconnu. Ceux qui fument, ceux qui dansent et ceux qui jouissent ne font pas autre chose, Michelangelo. Ils trouent ils transpercent l'espace-temps. Ils cassent le temps. Ils vont voir de l'autre côté du monde. Jusqu'à ce qu'on ait vraiment des navettes pour aller au-delà nous nous replieront sur nous-mêmes pour jouir des drogues et des dieux. » Puis Galilée disparaît. Je suis à fond. Je me cache tout au fond. Je me cache tout au fond de l'Europe. Je suis tout au fond, personne ne peut me voir. Il paraît que je mets encore des pains mais je ne sais pas. C'est ce qu'on raconte. Mais je ne sais pas. Je remets des pains ? Combien ? Un pain ? Un seul ? Pas possible ! Deux pains ? Plus ? Peut-être. Je ne sais pas. Je suis à fond. Je n'ai pas le temps de compter. Je n'ai pas le temps de compter les pains. Les tableaux, c'est pareil, j'ai l'impression d'en peindre plein. Mais c'est que je descends à fond. Je descends à fond au fond. Je descends au fond de mes tableaux. Je vais tout au fond. C'est comme une échelle qui descend en enfer. Une échelle qui descend au fond de la Terre. Une échelle Une longue échelle qui fonce au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond au fond du fond 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